Les camps de déplacés de Mossoul sous contrôle kurde

Nous présentons sur la chaine UpTube du laboratoire Migrinter, deux films de recherche, consacrés aux déplacés de la guerre civile irakienne (2014-2017). Ce travail est le fruit d’un terrain mené entre 2021 et 2022 dans le nord de l’Irak dans le cadre d’un programme de recherche intitulé « Explorer les frontières internes en Irak », que nous avons conduit à l’Ifpo d’Erbil.

Les déplacés de Mossoul (2017) : une existence dans un entre-deux frontalier

Ces vidéos d’un quart d’heure chacune mettent en avant plusieurs thèmes. Outre la présentation du quotidien dans trois camps de déplacés de la bataille de Mossoul et des batailles de la province de Niniveh menées par les forces irakiennes (armée irakienne, forces spéciales, milices chiites) et les forces de la Coalition internationale contre l’État islamique (EI), les témoignages que nous avons choisi de présenter insistent sur les difficultés, voir même l’impossibilité, pour ces personnes déplacées, depuis 2017, de rentrer dans leur lieu d’origine. Les raisons invoquées sont diverses et propres à chacune. En les écoutant et en analysant le ressenti de ces gens, nous cherchons à comprendre comment ces camps sont devenus un « territoire de l’entre-deux », dans le sens où ils se trouvent « pris » entre deux autorités (Bagdad/Erbil), entre deux zones d’influence géopolitique (Iran/Occidentaux), ce qui limite, voir empêche, le processus de retour. Comme le seraient des exilés repoussés sans cesse à une frontière internationale fermée, ces déplacés irakiens, dont une bonne partie sont des femmes et des enfants, vivent ce drame sur une frontière intérieure à l’Irak, refoulés au sein de leur propre pays.

Les cartes commentées que nous présentons comme des supports analytiques, montrent parfaitement l’existence d’une de ces frontières internes qui parcourent un pays en conflit, comme ici en Irak. On en retrouve aussi en Syrie, en Libye, en Afghanistan ou dans des pays de l’ex-Yougoslavie comme en Bosnie, sous des formes variables mais assez similaires. Ces frontières sont des fractures spatiales construites sur le temps long où identité, politique et géostratégie se mêlent : elles sont (ou ont été durant des périodes précises de tensions ou de conflits) à la fois discontinuités ethniques, limites politiques mal ou non définies issues de dynamiques séparatistes ou autonomistes en cours, lignes de front entre groupes armés, fractures d’influence géopolitique. En fonction des combinaisons propres à chaque contexte, les frontières internes peuvent revêtir des formes variées : plus ou moins longues ; plus ou moins perméables ; plus ou moins épaisses. Dans le cas présenté dans ces vidéos, à savoir la partie orientale de la plaine de Mossoul – qui fait partie des « territoires disputés » entre Erbil (Région Kurde d’Irak) et Bagdad (Irak), il s’agit d’un espace sur lequel la souveraineté est contestée depuis 2005 et qui a servi de champ de bataille lors de la deuxième guerre civile irakienne (2014-2017).

La présence de milliers de déplacés sur cette frontière interne est le résultat d’un compromis entre acteurs qui poursuivent chacun leur logique (carte ci-dessus). Pour les humanitaires, il s’agissait, en 2016, de mettre à l’abri des populations victimes de guerre dans une « safe area » ; pour les forces kurdes, le but était la mise à distance de populations arabes qui ont vécu des années sous le joug d’une organisation islamiste ; pour les forces irakiennes et les milices chiites qui occupent depuis 2017 la partie occidentale de la plaine de Mossoul, l’objectif pourrait s’apparenter à un refoulement de populations sunnites à qui l’on reproche toujours leur allégeance supposée à Daesh.

Contexte de production du documentaire

La réalisation de ces deux capsules vidéo d’un quart d’heure chacune, soit une demi-heure de film « monté », est aussi et surtout le fruit d’une rencontre avec Julia Zimmerman, vidéaste et journaliste, alors fraichement arrivée en Irak en 2021. Cinq jours de tournage et de prise de son ont été nécessaires. Mais ces captages doivent aussi leur existence à notre inébranlable collaboration avec la Barzani Charity Foundation, organisme qui a la charge des camps de déplacés dans cette région de l’Irak. Ce sont certains de leurs membres qui se sont impliqués dans ce projet et qui ont rendu possibles nos entrées dans les camps, l’autorisation de filmer (ainsi que l’usage du drone) et l’accès aux familles interviewées, ainsi qu’aux données générales sur les camps. Nous remercions sincèrement Rashid Darwish et Twana J.A. Hidayat, ainsi que les divers « camp manager » pour leur accueil et leur aide (kak Arif, kak Shallaw, kak Yahya et miss Hanya).

Remerciements

Ce travail a été rendu possible grâce, dans un premier temps, à un financement d’Alembert (2021) qui a permis la tenue de plusieurs évènements scientifiques à Erbil et, dans un second temps, à un financement Ifpo, dédié exclusivement à la réalisation de ces films. Nos remerciements vont à Kamel Doraï (chercheur CNRS) et Matthieu Rey (chercheur CNRS) qui se sont succédés au poste de directeur du Département des études contemporaines de l’Ifpo, sans qui ces vidéos n’auraient jamais vu le jour, ainsi qu’à Vahin Osman (Ifpo-Erbil), toujours présente pour la partie logistique. Migrinter, mon laboratoire de rattachement à partir de septembre 2022, a également grandement contribué par le financement des sous-titrages, mais aussi par la conception et réalisation de cartes présentées dans ces deux vidéos. Nous remercions chaleureusement Iman Zakaria pour son implication dans ce projet comme traductrice, ainsi que Nelly Martin (cartographe CNRS, Migrinter) qui a réalisé les animations cartographiques à partir d’un système d’information géographique alimenté à chaque mission dans la région. Merci à Olivier Clochard (chercheur CNRS, directeur de Migrinter) pour sa confiance et à Emmanuel Demaury (CNRS, Migrinter) pour toute la partie administrative.

Cyril Roussel, géographe, CNRS, Université de Poitiers, UMR Migrinter.

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