Billet de terrain #6

Deux arts en Migration : la danse et la poterie, entre ici et là-bas

Par Anaël Lété (diplômée du Master 2 Migrations Internationales de l’Université de Poitiers/UMR 7301 Migrinter), actuellement étudiante à Lille en Master 2 Gestion des organismes sociaux.                        

Dans le cadre du master Migrations internationales (Université de Poitiers / Migrinter), elle a soutenu, en septembre 2020 un mémoire de fin d’étude intitulé : « Un stage associé à un terrain virtuel : enjeux autour de la création d’une association culturelle franco-burkinabé ». 

“La céramique et la danse parlent de la même chose, animer la matière par le corps tout en étant profondément ancré sur terre” (Aude Lété, céramiste)

Les pratiques artistiques et culturelles entraînent la circulation des personnes, à diverses échelles géographiques, et nourrissent dans le champ des études migratoires, le concept de transnationalisme. Art et migration peuvent se conjuguer, entre autres par le maintien de liens entre les espaces traversés et les lieux investis, habités. Nous allons ici évoquer le Burkina Faso, pays d’Afrique de l’Ouest, et deux arts, la poterie et la danse. Traditionnellement, la poterie présente des techniques de confection – à partir d’argile – dites d’objets usuels, il s’agit de créations utilitaires. Poterie car la caste des forgerons-potières fabrique des pots. Des pots pour stocker, pour transporter, eau, nourriture, huile, par exemple. « Chaque potière a trois, quatre familles [de cultivateurs] dont chaque année ils refont tous les pots […] car il faut que ce soit très poreux et propre, car au bout d’une année les canaris1 ne sont plus assez poreux pour refroidir l’eau, car c’est l’évaporation de l’eau qui fait que l’eau est fraîche »2. C’est le fruit d’une communauté. « La poterie se transmet de mère en fille »3. La poterie peut être perçue comme un savoir-faire traditionnel à valoriser, à intégrer au sein du patrimoine.

Une dimension écologique peut être avancée, car la poterie peut être vue sous le prisme de l’impact du zéro déchet. L’utilisation d’une poterie comme contenant, comme ustensile de cuisine, comme vaisselle, évite et contourne l’institution du plastique comme solution ultime, et si l’objet casse, c’est la terre qui retourne à la terre. Cependant, la mondialisation concurrence ces pratiques et le plastique et autres méthodes de conservation, de stockage, prennent de l’ampleur.

Une autre pratique artistique et culturelle : la danse. Entre tradition, « modernité » et « réappropriation », les enjeux sociaux et politiques diffèrent au fil des années, raison entre autres pour laquelle les générations récentes dansent en s’inspirant sans cesse de pas traditionnels tout en essayant de créer quelque chose de nouveau4. « D’Abidjan à Kinshasa en passant par Bobo-Dioulasso, derrière lesdites « danses du moment », se cachent des pas traditionnels »5.

La danse s’est exportée de la ruralité à la ville, et ces lieux de vie urbains et ruraux ont un impact radical sur sa pratique. La ruralité est associée aux rituels, au traditionnel, à la célébration des divinités, tandis que la ville est associée au loisir, au divertissement, aux nouvelles préoccupations estimées éloignées de celles du village d’origine. Ainsi, les danses pratiquées au sein de la communauté inspirent les citadins qui danseront dans des lieux de divertissement fermés, et non plus au cœur du village dans l’intime de l’honneur aux divinités.

La discipline présente une dynamique commerciale mais aussi érotique dans la création de nouvelles danses, à une échelle de visionnage plus large. En effet, les citadins ont propulsé la musique et la danse associées à la télévision sous le format de clips vidéo par exemple. De ce postulat-là, la danse, est art comme objet de vente et d’attraction « aguicher un public »6. L’État joue également un rôle dans la promotion des danses dites traditionnelles. Peut-on parler de volonté de préserver un certain patrimoine ? « C’est surtout l’action ou la main de l’État via le ministère de la Culture qui permet un accès large du public aux danses anciennes, communément regroupées sous le terme de folklore ou de « pratiques régionales »7. La danse au fil des années -comme par exemple les danses ivoiriennes – se voit dépassée par des nouvelles, inspirées néanmoins de leur prédécesseur, mais est qualifiée de « folklore » et sera préservée pour une démarche pécuniaire et touristique ou dans une éthique de mise en avant, de préservation, du patrimoine.

Les danseurs avec lesquels j’ai échangé8, pratiquent la danse dans une démarche de transmission. L’un des interlocuteurs habite en France, les autres danseurs interrogés résident au Burkina Faso, à Ouahigouya par exemple. Ainsi, dans ces deux pays, ils travaillent en partenariat avec le milieu scolaire, écoles de danse, et troupes de danse. Ils se produisent à petite ou grande échelle, régionale, nationale ou internationale. Certains danseurs sont griots. La danse est présente pour les évènements marquants d’une vie, lors de cérémonies, de rituels, et d’évènements culturels traditionnels. Le griot a une place dédiée au Burkina Faso et lors de ces moments de vie : il est l’élément humain de la transmission, il endosse un rôle d’historien, il raconte les ancêtres. Le griot est transmetteur de message puis il incarne la mémoire orale. Femmes et hommes peuvent être griots. Un griot, une griotte. Pour être griot9, c’est la transmission par le sang : les ancêtres au sein de la famille étaient griots. Nous sommes griots, que l’on décide de pratiquer ou non. Le griot qui accepte son rôle est attaché à une localité. Le griot transmet en parlant, en chantant, en jouant d’un instrument de musique, ou encore en dansant.

L’art, le patrimoine, la tradition, circulent au travers de savoir-faire des personnes, héritières de pratiques. Ces personnes qui à leur tour, font le choix de transmettre, véhiculent ces richesses, promeuvent et agissent pour la continuité culturelle. Quel que soit l’endroit où les individus décident de vivre, de s’installer, la culture intériorisée est une arborescence pouvant se déployer, la culture acquise, les connaissances intégrées circulent et peuvent exister.

1 Le canari est une pièce ronde de stockage d’aliments liquides ou solides, servant également à la cuisson _ les canaris peuvent se briser si on les fait tomber, mais résistent à la chaleur quand la pièce est utilisée pour cuire un aliment.
2 Propos recueillis lors d’un entretien avec Suzanne (le prénom a été modifié), enquêtée âgée de plus de soixante-dix ans, céramiste de profession. Le premier séjour de Suzanne au Burkina Faso au sein d’un village potier a eu lieu de 1982 à 1985, dans le cadre d’études de développement et d’un projet de recherche sur la transmission des savoirs (soutenance ayant eu lieu en 1990).
3 Laurent Delphine. Les potières de Tchériba. Une histoire de femmes, Revue céramique et verre, n°133, novembre/décembre, 2003, pp. 25-31
4 Comme par exemple la danse appelée Le Mapouka en Côte d’Ivoire émergeant dans les années 2 000. « À l’origine, il s’agit d’une danse de fertilité et de séduction exécutée par des femmes en pagne agitant leurs hanches au rythme des percussions ». (Koné Yaya, p. 88)
5 Page 87. Koné Yaya. « Les « Afriques modernes » ou l’art de réinventer la tradition. Une approche sociologique des danses ivoiriennes », Staps, vol. 101, n°3, 2013, pp. 81-101.
6 Page 90. Ibid.
7 Page 91. Ibid.
8 Danseurs rencontrés en distanciel dans le cadre d’entretiens pour cette courte recherche universitaire.
9 Ce petit texte est écrit au masculin, mais le choix de l’écriture inclusive aurait pu être fait.

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