Billet de terrain #8

En Serbie, la police ferme les yeux sur les réseaux de passeurs

Par Caroline Lacombe Cazal, étudiante en Master 2 Migrations internationales de l’Université de Poitiers/UMR 7301 Migrinter)

La route des Balkans est historiquement, comme son nom l’indique, un espace de passage, de transit, de marchandage entre l’est et l’ouest. A partir de 2015, la « crise » migratoire qui a marqué l’Europe fut accompagnée du florissement des réseaux de passeurs et de trafiquants dans cette zone stratégique d’entrée dans l’Union européenne (UE). En réaction à l’annonce de la chancelière Angela Merkel d’accueillir des réfugiés syriens en Allemagne, un couloir humanitaire a été mis en place en juillet 2015 entre la Macédoine et l’Allemagne, permettant aux demandeurs d’asile de transiter rapidement, légalement et sans danger dans la région. Après des restrictions progressives de l’usage du corridor, l’accord de mars 2016 entre l’UE et la Turquie marqua sa fermeture définitive. La Serbie – et même l’ensemble des pays des Balkans non-membres de l’UE – se transforment alors en « piège » pour les migrants sur la route de l’Union et en marché florissant pour les passeurs. En effet, la Serbie possédant des frontières communes avec trois pays de l’UE (Hongrie, Croatie et Roumanie), elle représente un espace clé pour les migrants souhaitant poursuivre leur route dans l’Union. Le renforcement des contrôles à ces différentes frontières a complexifié les passages, les rendant plus difficiles et dangereux. Conjointement, le rôle des passeurs est devenu plus lucratif.

Lors de mes différents séjours en Serbie, j’ai pu observer presque quotidiennement l’influence des passeurs, lesquels contrôlent la vie quotidienne de leurs « clients ». Les passeurs, souvent de la même origine que les migrants, ont des territoires attribués par nationalités dans lesquelles ils opèrent. Les migrants ont ainsi un libre-arbitre très limité, leurs passeurs décidant des lieux habités et des frontières traversées. Précisons que les réseaux sont également composés de personnes aidant les passeurs, allant des chauffeurs de taxis à certains migrants n’ayant plus les moyens financiers de poursuivre leurs tentatives de passage.

Depuis le début des années 2000, la Serbie entretient, du fait de sa demande d’adhésion, des relations de coopération avec l’UE. L’Union externalise largement sa politique migratoire et le contrôle de ses frontières dans les Balkans et finance la Serbie pour contribuer à la protection des frontières et à l’endiguement des flux migratoires. La Serbie tient pour autant, en pratique, une position tout à fait ambiguë, car le rôle de transit reste une préoccupation centrale. Ainsi, le gouvernement finance de nombreux centres de transit pour les migrants, y compris ceux considérés en situation irrégulière au regard de la loi serbe, et ne fournit aucun effort pour rendre le système d’asile plus efficace.

De même, la Serbie tient une position peu claire sur la question de la lutte contre les réseaux de passeurs. Comme dans la plupart des pays considérés de destination, la lutte contre les passeurs est utilisée en Serbie comme excuse pour justifier du durcissement des politiques migratoires et des contrôles aux frontières. Dans le même temps, la réalité démontre que la police a tendance à fermer les yeux, voire à contribuer au travail des passeurs.  

En Serbie, si certains migrants savent en avance dans quel centre ils doivent se rendre pour entrer en contact avec le passeur qui leur permettra de sortir du pays, Belgrade reste un point de passage très important car c’est ici, et plus précisément dans les parcs autour de la gare (voir croquis ci-dessous) routière, que la plupart des migrants en transit entrent en contact avec les passeurs. Au parc Luke – renommé Afghan Park – et dans les boutiques avoisinantes, on peut continuellement observer des groupes de jeunes hommes originaires d’Afghanistan, du Pakistan, d’Inde et d’autres pays asiatiques, assis sur les bancs à discuter, ainsi que les membres d’organisations locales d’aide aux migrants. Dans le même quartier, le café Mésopotamia est connu par tous comme un lieu incontournable pour les nouveaux arrivés qui souhaitent poursuivre leur route dans l’Union. Ici, le migrant laisse l’argent qu’il doit à son passeur, et le propriétaire du café endosse un rôle d’assureur en gardant cet argent jusqu’à ce que le migrant ait effectivement traversé une des frontières de l’UE.

Ainsi, à Belgrade, les passeurs et lieux impliqués dans ces réseaux sont les mêmes depuis 2016 et sont connus de tous, migrants, ONG, mais aussi policiers. Si des opérations de police sont organisées sur une base presque hebdomadaire pour compliquer les projets des migrants et les rendre moins visibles à Belgrade, il n’empêche qu’aucun effort particulier n’est fourni pour démanteler les réseaux de passeurs. La Serbie endosse en permanence cette position ambivalente, entre sa coopération avec l’Union d’une part, et donc ses opérations sécuritaires chaque semaine, et sa volonté de rester un espace de transit d’autre part, et donc son laisser-faire vis-à-vis de ces réseaux. Les passeurs restants aujourd’hui l’unique moyen pour les migrants de continuer leur voyage, ils apparaissent ainsi aux yeux du gouvernement comme ceux permettant aux personnes de partir, et donc au pays de rester un espace de transit et non de blocage et d’installation.

Outre cette situation à Belgrade, la police a également tendance à fermer les yeux sur les réseaux de passeurs aux frontières, voire à y prendre part. En effet, malgré le renforcement permanent des moyens de contrôle, de nombreux migrants traversent la Serbie en quelques jour, semaines ou mois. Il est donc évident que certains officiers de police ferment les yeux voire coopèrent avec les passeurs, et moyennant une taxe, ils peuvent accepter de ne pas se trouver dans un endroit particulier à un moment précis ou de transporter des demandeurs d’asile et des migrants de l’autre côté d’une frontière.  

En conclusion, si les passeurs semblent être un moyen incontournable pour les migrants de continuer leur route vers leurs pays de destination, protégés par des murs barbelés et des politiques migratoires restrictives, ils semblent également être une bonne et officieuse solution pour le gouvernement serbe d’éviter le blocage de milliers de migrants sur son territoire.

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